Aananda Kumar Rai a 46 ans, est marié  et a 4 enfants de 19, 17, 15 et 13 ans. Il est fermier, tient une petite échoppe près du lycée.


Il est aussi président du Comité du lycée de Basa Kali après avoir été pendant un long moment président du comité de la forêt et professeur d’anglais dans les petites classes du lycée.


La maison d’Aananda, qu’il a construite à coté du lycée Basa Kali (Yagachwai) il y a trois ans, a été un peu abîmée, et pourtant elle a été classée inhabitable. Il a vécu un mois dans un abri temporaire puis est rentré dans sa maison car la vie dans cet abri n’était pas pratique.

Je savais ce qu’était un tremblement de terre par la radio, mais aussi par quelques petits tremblements  peu importants que j’ai vécus ces dernière années. C’était de l’histoire. Je n’avais jamais pensé connaître les difficultés que j’ai vécues.

Le 25 avril j’étais avec un ami et un enfant dans la cuisine. D’autres amis faisaient des réparations sur le toit. Soudain ça a bougé, tremblé. J’ai d’abord cru que c’était les personnes qui travaillaient sur le toit. Mais après je suis tombé dans la cuisine. J’ai entendu des cris et je suis sorti avec mon ami et l’enfant. Les personnes qui étaient sur le toit ont sauté par terre. Ca bougeait verticalement horizontalement et ça tournait comme un cyclone. J’ai  entendu un grand bruit.
J’avais envoyé mes deux fils couper des arbres pour le toit. J’ai pensé qu’il y avait eu un glissement de terrain et qu’ils avaient eu un accident, qu’ils étaient morts. J’ai couru vers mes enfants sans me rendre compte que j’avais mon kukri à la main. Le mur de la maison que je longeais s’est cassé juste derrière moi. J’ai retrouvé mes deux enfants. Il y avait de la poussière qui tournoyait dans l’air. En face sur l’autre rive de la Dudhkosi, ça avait beaucoup bougé. Mais ici les maisons n’étaient pas beaucoup abîmées sauf les vieux bâtiments du lycée.

Le 12 mai il faisait beau, les enfants étaient à l’école. Quand le tremblement de terre est arrivé, ils ont crié et ceux qui étaient au premier étage ont commencé par sauter par dessus la balustrade, puis les autres sont descendus par les escaliers. Le bâtiment principal se balançait, comme une balançoire. Heureusement la forte charpente du toit a pu supporter les lauzes, ce qui les a sauvés, sinon il y aurait eu des morts.
Puis les élèves se sont réunis avec les professeurs dans la cour, ensuite les villageois sont arrivés pour avoir des nouvelles des enfants. Tous savaient quoi faire, à la suite du premier tremblement, y compris sortir des classes. Toute la journée ensuite il a eu des bruits dans la montagne, des pierres, des rochers qui tombaient.

Au soir du premier tremblement nous avons fait des équipes de 10 à 20 personnes qui se sont  réunies chez les familles les plus proches. Nous avons sorti les animaux. Avec des affaires récupérées dans les maisons, avec des bambous, nous avons construit des abris. Ici, dans la cour du lycée il y avait 15 familles. Nous avons récupéré de la nourriture dans les maisons et nous avons mangé tous ensemble. Nous avons vécu en commun. Il y a eu plusieurs répliques durant la nuit. Les gens criaient, couraient. Ils ont discuté entre eux, se rappelant l’histoire de leurs parents. Ils ont cherché comment se protéger. Mais il y avait aussi des rumeurs comme quoi il y allait avoir un tremblement de magnitude 11. Nous n’avons pas fait de feu mais nous avions de l’électricité. Nous avons allumé les radios pour avoir des nouvelles de Kathmandu et d’ailleurs.

Lors du second tremblement, nous avions pris l’habitude d’être dehors dans les abris temporaires. La secousse a été très forte. Certaines personnes étaient rentrées dans leurs maisons qui n’étaient pas abîmées après le premier tremblement. Mais cette fois il y eu beaucoup de destructions. Les gens sont sortis de leurs maisons et ont construit des abris temporaires en vue d’y rester plus longtemps. Il n’y a pas eu d’école pendant un mois.

A l’occasion des deux tremblements des policiers sont venus pour inspecter et pour enquêter.

Mes premiers réflexes ont été de chercher mes enfants, d’appeler à se rassembler dans la cour du lycée, d’écouter les nouvelles, de sortir le nécessaire, de construire de quoi se protéger pour la nuit. Je ne me souviens plus quels ont été mes premiers mots car j’étais choqué. Après coup, je pense que j’ai dit : « il faut sortir des maisons ».

Pour Aananda il y a deux types d’explications à ces phénomènes :
pour les professeurs et les parents éduqués, il y a une explication scientifique, à savoir que le Népal est sur une plaque tectonique qui bouge,
pour les personnes âgées, c’est Dieu qui est en colère à cause des malhonnêtetés, des mensonges, de la surpopulation, des politiciens qui font mal leur travail, des gens qui oublient leurs traditions.

Actuellement la vie dans les abris temporaires est difficile. Les maisons sont abîmées. Les reconstruire coûte cher. Il n’y pas d’aide du gouvernement. Les ONG n’ont pas aidé ceux qui devaient être aidés. Aujourd’hui ils est difficile de savoir comment reconstruire de manière à sauver les vies s’il y a de nouveaux tremblements. La vie est pénible.

Quand je repense à ces moments trois idées me viennent à l’esprit :

– je suis content qu’il n’y ait pas eu de morts
– je demande à Dieu qu’il n’y ait plus de tremblement de terre ni de désastre naturel
– mais j’ai peur.

Après les tremblements les gens ont réfléchi différemment :

– les gens du bas de Rapcha ont vu les fissures dans le sol ; ils ne veulent plus rester là par peur de glissements de terrain à la   mousson; ils pensent à remonter sur des terres plus haut ou à émigrer, ce qui n’est pas souhaitable
– les gens  pensent à (re)construire en plus petit, sur un seul niveau mais en antisismique
– ils veulent des formations pour savoir comment sauver leur vie s’il y a un tremblement
– pour moi, la priorité est de reconstruire l’école en antisismique, car si l’école s’écroule, sans ce type de construction, il y aura   beaucoup d’enfants tués.

Pour l’avenir et pour les constructions, je crois qu’il ne faut pas construire n’importe où, n’importe comment. Il faut suivre des règles. L’état doit décider, aider, conseiller avec des géologues (savoir où construire, où cultiver)